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I – Vade-mecum du plagié

Publication 13.01. 2010

Vous êtes nombreux à demander conseil, à envoyer des documents afin que nous constations des plagiats et vous indiquions les démarches à suivre.

Avant toute démarche, voici quelques éléments de réponse qui devraient vous aider à mettre en place des dispositifs adaptés à votre situation.

1 – Comment établir la preuve ?

Que vous découvriez que vous avez été plagié dans un article publié ou dans un article soumis à un processus de révision, la première chose à faire est de ne pas en parler.

Vous devrez tout d’abord utiliser un détecteur de similarités pour démontrer, si possible factuellement, la preuve des emprunts.

Selon un proverbe bien connu : « Qui plagie un œuf, plagie un bœuf ». Donc, 9 fois sur 10 vous allez découvrir que si vous avez été plagié dans un article ou une thèse, le fautif a aussi plagié d’autres auteurs.

Cet élément vous aidera dans vos démarches.

2 – Qui doit dénoncer la faute ?

Officiellement, c’est à la victime de porter plainte. Et ceci, même si on est jeune auteur face à des chercheurs seniors.

Mais, bien entendu, il faut vous entourer de précautions, et donc toujours vous assurer avant d’agir d’avoir des appuis solides.

Dans tous les cas, en effet, vous ferez d’abord face à une première attitude de déni qu’il vous faudra supporter.

Toutefois, si vous craignez de dénoncer vous-même le plagiat, demandez à un tiers reconnu comme pair par l’instance où la plainte sera enregistrée de le faire à votre place. L’IRAFPA peut, si le cas est grave, entamer une médiation en votre nom.

3 – Quand dénoncer la faute ?

Le plus tôt possible après l’avoir découverte.

– D’une part, il ne sert à rien de traîner une rancune étouffée des années durant et d’être malheureux chaque fois que l’on vous demandera de faire référence dans vos écrits à l’auteur qui vous a plagié.

– D’autre part, il ne sert à rien d’ennuyer de vos insinuations tous vos voisins de table lors des repas de gala de votre association. La bienséance veut que vous détendiez l’atmosphère et non que vous plombiez l’ambiance avec vos problèmes.

Si vous vous éveillez à la lecture de ces notes et que vous avez envie de porter plainte pour un vieux délit, considérez qu’un délai de prescription acceptable dans notre univers académique est de dix ans, cinq ans au juridique. Passé ce délai, votre plagieur aura largement eu le temps de tirer bénéfice de son vol au plan professionnel.

4 – Comment choisir un sponsor ?

Avant de déposer une plainte formelle, auprs du Référent Intégrité de votre établissement par exemple, il vous faut vous assurer d’appuis solides à l’intérieur et à l’extérieur du système.

Un « sponsor » peut être un chercheur senior, une personne d’une autre discipline que la vôtre ou le service juridique de votre établissement. Cela doit être une personne de grande objectivité, qui n’entre pas dans les jeux de pouvoir politique ordinaire.

Votre sponsor saura vous écouter durant les longues semaines (ou mois) que va durer la procédure engagée. Son rôle sera aussi d’intervenir si vous n’obtenez pas satisfaction.

Dans une culture de l’omerta, ce qui fera réagir les instances auprès de qui vous allez déposer plainte sera toujours le bruit risquant de se déclencher si la procédure dure trop longtemps, que la recherche de la vérité et l’éthique.

5 – Auprès de qui déposer plainte ?

• Pour les chapitres ou articles publiés : auprès du Comité scientifique ou du Comité éditorial qu’ont toutes les revues de bon niveau et pas seulement auprès du Rédacteur en chef.

• Pour les Conférences : auprès des responsables scientifiques de la conférence, mais aussi aux présidents et vice-présidents de l’association dont relève, le cas échéant, le congrès.

• Pour les livres ou chapitres de livre : auprès de l’éditeur, avec copie à vos instances institutionnelles.

• Pour les thèses de doctorat : auprès des instances universitaires et des Conseils d’Intégrité, quand ils existent.

• Pour les ouvrages pris en compte dans les qualifications de carrière : ici la vraie victime est le système académique. Si vous décidez d’informer le CNU soyez certain d’être neutre et de parler au nom de la connaissance. Le CNU n’a aucun pouvoir pour annuler des thèses  mais c’est lui qui qualifie les candidats à des postes comme Maître de conférence ou HDR.

Dans tous les cas : n’oubliez pas d’envoyer une copie de votre démarche factuelle à la commission éthique qui devrait exister dans l’établissement du plagieur (lire leur règlement pour savoir qui informer), car vous serez alors véritablement pris au sérieux.

6 – À quoi vous attendre ?

Vous allez être dérouté par les réactions de vos pairs, qui ne pensent pas dans le même espace vectoriel que vous.

Comprenez bien que vous êtes dans une logique de créateur  de connaissance. Tous vos interlocuteurs raisonnent dans la logique politique relative à ce qu’est leur rôle dans le système.

Ce sont là deux dimensions orthogonales (ou facteurs indépendants) de notre réalité académique.

Le questionnement légitime du défenseur politique d’un système sera : comment faire le moins de dégâts possible, dans notre « communauté » ?
(la « communauté » pouvant être un labo, une association, une revue…).

7 – Comment formuler une plainte ?

Il vous faut envoyer un courrier ou courriel, avec en pièces jointes les preuves du plagiat telles qu’indiquées factuellement par le détecteur de similarités ou établies selon le protocole que nous proposons.

– Arguez de votre fidélité à la revue/conférence/institution,

– Posez les faits sans émotion,

– Apportez les preuves,

– Situez le contexte,

– Formulez des demandes précises.
Le fait de formuler des demandes précises – telles que « des excuses du rédacteur en chef dans le numéro suivant de la revue » ou « l’ajout du nom d’un co-auteur sur les bases de données internationales en cas d’oubli de celui-ci» – cadre bien votre détermination.

De plus, ce sera un point de référence utile à l’avocat que vous seriez contraint de consulter si l’on cherchait à étouffer l’affaire, généralement pour des raisons politiques indépendantes de toute logique académique.

8 – Comment se comporter pendant le processus ? 

Ne vous focalisez pas dessus.

Certes, la souffrance de voir ses créations volées est toujours grande, mais il ne sert à rien d’être atteint psychologiquement au point que votre productivité de chercheur subisse un fléchissement.

Vous seriez alors deux fois victime. Et même trois fois victime. Attendez-vous, en effet, à subir des pressions pour vous faire retirer la plainte au prétexte que vous allez déranger et nuire à la réputation de la revue/conférence/institution/association où s’est produit le délit.

Restez calme, considérez cette épreuve comme une expérience qui vous permet de mieux comprendre le système académique. Ainsi :

– Considérez comme un franc imbécile celui ou celle qui vous déplace la question et vous dit : « Prenez pour un compliment le fait d’être plagié ». Cela signifie qu’il/elle est trop fatigué/e ou trop politisé/e pour se donner la peine de réfléchir.

– Considérez comme un opportuniste celui qui vous dit : « C’est incroyable, je vais en parler à X et à Y». Cela signifie qu’il va instrumenter votre problème pour son propre compte (obscur).

– Etc.

9 – Vous obtenez satisfaction : comment se comporter ?

Si vous avez obtenu satisfaction : félicitations !

Remerciez, et n’en parlez plus. Ce n’est pas à vous de lever la confidentialité sur la personne au comportement douteux, mais aux responsables de conférences, de revues, d’associations scientifiques ou d’établissements où les faits se sont produits.

C’est à eux de s’excuser de n’avoir pas su « bloquer » le comportement déviant et de rassurer la collectivité sur les mesures prises pour éviter une reproduction des faits.

10 – Vous n’avez pas obtenu satisfaction : comment se comporter ? 

Si vous n’avez pas obtenu satisfaction : ne vous détruisez pas la santé pour autant !

Tout bon psychologue saura vous soutenir pour traverser cette épreuve. Il vous expliquera que vos pairs/pères ne sont pas là pour avoir un comportement protecteur et sincère, que le système académique n’est pas votre famille et que d’ailleurs les familles parfaites cela n’existe pas.

11 – Et si décidiez de poursuivre en justice ? 

Si vous décidez de poursuivre, la seule solution est de prendre un avocat. En sachant que, dans de nombreux de pays,  la loi ne reconnaît pas le plagiat mais seulement la contrefaçon.

C’est d’ailleurs votre avocat qui précisera si vous devez poursuivre le tricheur, l’instance où s’est produit le délit présumé, ou même, en cas de harcèlement, des personnes précises.

Il obtiendra des pièces de dossiers auprès des instances impliquées que seul vous ne pourriez consulter.

Un grand avantage de la procédure juridique est qu’un avocat est quelqu’un qui vous prend en charge et pense à votre place. Votre rôle étant de faire de la recherche, de l’enseignement, des publications.

12 – Quelle vie après un plagiat ? 

Vous décidez de tourner la page, le jour où vous le décidez. Vous, et personne d’autre.

Vous avez la conscience tranquille, car vous avez formulé correctement vos demandes, en temps et lieu utiles, et vous avez agi pour protéger vos pairs de dérives éventuelles de votre communauté.

Vous avez la conviction que, même si on ne vous a pas totalement écouté(e), l’affaire aura suffisamment ébranlé les certitudes des personnes ayant du pouvoir dans le système, pour les obliger à réfléchir et à modifier leurs procédures.

La déontologie est le fait de parler de ses devoirs. On continuera à parler longtemps de votre cas alors même que vous serez retourné «Vivre dans la paix sereine des laboratoires et de bibliothèques » (Louis Pasteur, 1892).

Bonne chance !