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I – Vade-mecum du délinquant présumé

Parution 01.03. 2010

Vous êtes un certain nombre à nous téléphoner pour  raconter votre indignation lorsque vous êtes directement mis en cause dans un cas de plagiat.

Voici le petit vade-mecum que nous employons pour répondre à vos doléances et à vos craintes.

1 – Comment faire face à une accusation de plagiat ou de fraude scientifique ?

Le jour où vous recevez un courrier d’un auteur offensé, de son éditeur ou de l’un de ses pairs, vous accusant de plagiat ou de fraude scientifique, vous devez rester calme et de ne pas répondre immédiatement.

Vous devez d’abord qualifier les faits en vérifiant si vous avez fait un simple copier-coller d’un texte, si vous avez traduit in extenso un article ou un texte écrit dans une autre langue, si vous avez bidouillé des données empiriques, si vous avez emprunté les idées d’un autre auteur, si vous avez éliminé un coauteur d’un article que vous avez publié…

Si les faits sont avérés, faites appel à un avocat qui saura vous conseiller utilement quant à l’attitude à adopter dans les mois à venir.

2 – Que faire si vous êtes accusé(e) dans la presse ?

Que vous soyez innocent ou que vous ayez été négligent, vous devez en référer à votre instance institutionnelle.

Il advient que certains journalistes peu scrupuleux s’emparent d’un cas mineur de plagiat pour atteindre la réputation d’une personnalité publique. La plupart des journaux placent leurs articles en ligne et votre nom risque d’être longtemps associé aux mots « plagiat », « triche » ou « fraude ».

Après tout, en touchant à la réputation d’un de ses professeurs ou de ses doctorants, c’est la réputation de l’établissement qui est entachée.

Et, seule une institution aura le pouvoir de demander à ce que les articles en ligne soient retirés. Si vous êtes en France, vous aurez même droit à la protection juridique de l’établissement. Toute votre défense juridique sera d’avance payée par le contribuable.

3 – Que faire si vous êtes attaqué via le Web ?

Notre monde est vraiment petit, et tout finit par se savoir.

Si vous avez plagié ou fraudé, vos pairs en parleront entre eux et, chaque fois que vous serez appelé à prendre une fonction de doyen, de directeur d’études, de directeur général, ou même un poste dans une nouvelle institution, il y a de fortes chances pour que l’affaire réapparaisse sur le Web.

Faites une recherche de réputation chaque jour sur Google à propos de votre nom. Certes, c’est fastidieux, mais c’est la seule chance d’éviter que votre nom ne soit un jour le motif d’un buzz fulgurant.

4 – Comment mesurer l’étendue des dégâts ?

Votre première attitude, c’est normal, en est une de déni. Vous étiez « professeur », « directeur », « doctorant »… et du jour au lendemain vous êtes devenu un « délinquant de la connaissance ».

Des règles très simples s’appliquent pour mesurer l’étendue de la rumeur et son caractère épidémiologique :

• Plus vous êtes dans une position de pouvoir (directeur de thèse, directeur d’établissement) par rapport au plaignant, et plus la rumeur se répandra.

• Plus vous êtes un cas de faute grave (ex. traduction d’un texte in extenso vs. copie d’une dizaine de pages d’un livre, maquillage des sources…) et plus la rumeur se propagera.

• Plus vous êtes une figure iconique du système, et plus la rumeur se diffusera rapidement et largement.

Demandez une analyse équitable de la situation par l’instance ad hoc (ex. Une comité d’éthique institutionnel) et une évaluation objective de vos risques.

Au plus, vous risquez une sanction administrative, mais vous pourrez dire que vous avez payé votre dette envers la communauté.

5 – Comment définir son axe de défense ?

Parmi toutes les réactions que nous avons observées, il y en a d’efficaces, d’autres de très risquées.

  • Une réaction courante des doctorants consiste à faire un recours au motif qu’il n’y a pas dans votre établissement de cadre institutionnel pour vous apprendre les compétences informationnelles à l’entrée en doctorat, ni de campagne de prévention. La naïveté d’un doctorant est toujours envisagée, surtout si l’on vous définit comme humble et que votre directeur de thèse est faible.
  • Une réaction spécifique aux jeunes docteurs consiste à déclarer que vos supérieurs n’ont pas surveillé vos débordements, les favorisant de ce fait. Cette défense donne de bons résultats, surtout si votre patron n’est pas connu pour être un parangon de vertu.
  • Une réaction spontanée des jeunes chercheurs et de mentir à vos supérieurs ou à votre directeur de thèse. Ceux-ci réagissent d’abord en vous défendant corps et âme car leur réputation est aussi engagée. Mais si, ensuite, ils voient les preuves factuelles de votre plagiat, ils seront humiliés et ils vous en voudront deux fois plus de les avoir ridiculisés.
  • La réaction classique des professeurs seniors consiste à dire que c’est un étudiant qui a écrit le texte à votre place et que vous n’avez pas su le contrôler. Même si l’excuse ne dupe personne, elle permet à vos pairs de se dire que vous avez été négligent et elle leur évite de s’interroger. Tout le monde préfère avoir un pair négligent qu’un pair fraudeur.
  • Une réaction caractéristique des fraudeurs addictifs est d’être vexé de vous être fait prendre la main dans le sac que votre réaction spontanée sera d’insulter le dénonciateur en le traitant de « délateur ». Attention, car les mails, comme les téléphones, gardent alors traces de vos débordements.
  • Une réaction spécifique aux personnes en situation conflictuelle est de dire à qui veut entendre que les preuves de votre faute ont été établies de manière incorrecte : on a fouillé votre bureau ou votre ordinateur, ou on a instrumentalisé vos assistants, etc. Ce comportement ne change rien aux faits s’ils sont établis : un plagiat est un plagiat.

6 – Comment formuler une défense ?

Allez au plus simple : arguez de votre fidélité à la revue/conférence/institution, acceptez les faits sans émotion, apportez les preuves de votre loyauté, formulez des excuses précises.

Le fait de formuler des excuses précises et de demander une modification des textes – par exemple l’ajout du nom d’un co-auteur spolié sur les bases de données internationales en cas d’oubli de celui-ci – cadre bien votre détermination à changer de comportement de manière non-ambiguë.

De plus, ce sera un point de référence utile à l’avocat que vous seriez sans doute contraint de consulter si l’on cherchait à trop divulguer l’affaire.

7 – Quelle vie après un plagiat et la fraude ?

Une personne qui triche est toujours en détresse. La délinquance académique induit, en soi, un repositionnement de sa propre vision : de soi-même, de sa place dans notre système et de son échec face aux demandes qui lui sont faites.

Le système académique pose des jalons afin de pouvoir filtrer et trier les éléments qui prétendent y occuper un certain espace. Au cours d’une carrière, ces étapes deviennent insurmontables pour certaines personnes, et elles provoquent des ruptures de leur parcours académique.

Ces ruptures avérées peuvent prendre au mieux l’aspect d’une quête du pouvoir institutionnel ou associatif, au pire celui de l’appropriation des réalisations d’autrui par le plagiat.

La souffrance peut alors devenir intolérable, car vous devez accepter de voir votre niveau réel rétabli publiquement, ce par comparaison au niveau que vous pensiez avoir.

Nous vous conseillons vivement de vous faire accompagner par un psychologue cognitiviste qui vous aidera à comprendre pourquoi vous avez plagié et à vous réconcilier avec vous-même.

C’est le seul moyen que vous ayez de pouvoir ensuite en parler calmement et faire face à toutes les attaques que vous risquez de subir.

Bon courage.