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Conduire une enquête

Publication 23.10.2013

La conduite des enquêtes

Lorsque une médiation n’a pu être mise en oeuvre entre protagonistes au sein d’un établissement académique, il faut mettre en place une commission ad hoc d’enquête afin d’examiner les faits avec objectivité, puis énoncer des conclusions et des recommandations.

Le protocole que nous préconisons lorsque nous sommes mandatée comme expert/présidente de commission a fait ses preuves tant au FNS du Luxembourg, que dans des universités de France et d’Italie, ou à l’EPFL ou à l’université de Neuchâtel, en Suisse, par exemple.

Merci de nous faire part de vos commentaires et expériences.

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1 – Quand une plainte est déposée

Une plainte pour plagiat peut être déposée par n’importe qui, et pas seulement par le plagié, contrairement à ce que l’on dit souvent.

Le plagiat, rappelons-le, est une atteinte à la personnalité de l’auteur original (création de l’esprit), une fraude au plan déontologique (ne permet pas au lecteur d’avoir accès à la source de la connaissance), une fraude au système académique (risque de voler l’emploi ou le statut d’une autre personne ayant moins de publications).

Le déni des responsables d’établissements provient souvent de leur incompréhension de la nature du plagiat et de la peur de nuire à l’image de l’institution. Dans certains pays, ce ne sont pas de véritables académiques, donc ils ne sont pas toujours au fait que le plagiat touche notre coeur de métier.

Le problème est que si le cas n’est pas instruit, les plaignants déroutés peuvent critiquer via leurs réseaux sociaux l’omerta qui entoure ces cas et, se pensant victimes d’une injustice, porter atteinte à la réputation de l’établissement concerné.

• Notre conseil : Demandez toujours que le cas soit très rapidement examiné par un expert pour une tentative de médiation. Si le cas révèle de réelles présomptions de plagiat, ou si la médiation entre acteurs échoue, alors il convient de créer une commission ad hoc.

2 – Si la médiation échoue : mettre en place une  commission ad hoc

L’erreur la plus courante des responsables de la recherche ou des établissements est de confier toute l’enquête à une commission interne (« on lave son linge sale en famille »). Même si une telle commission réalise un travail honnête et objectif, ses conclusions seront toujours entâchées du doute de la partialité. Sans compter les pressions « politiques » que ses membres subiront de la part de leurs collègues.

• Notre conseil : Prenez des experts externes à l’établissement.  La commission mandatée travaillera dans des conditions sereines et dépassionnées. Dès l’instant où la commission est créée, chacun des membres de la commission comme parties en présence, est tenu au devoir de réserve. Celui-ci protège les protagonistes, comme il protège l’établissement des interrogations éventuelles des médias.

3 – Comment choisir les membres de la commission

Nous suggérons qu’un membre de la commission d’enquête soit un docteur en droit ou un avocat rompu au montage de dossiers. En effet, dans la majorité des cas maintenant, les personnes accusées ont contracté une police d’assurance juridique qui met à leur disposition de bons avocats. Mais il ne faut pas opter pour un spécialiste du droit de la propriété, car il pourrait se laisser influencer par sa spécialité et tendrait à influencer la commission. Notamment, il adopterait sans doute une simple « logique de la cause » (faits reprochés), alors que le plagiat doit se concevoir sous la perspective d’une « logique de la conséquence » (implication des-dits faits pour les protagonistes et pour la connaissance).

Il faut ensuite qu’un à deux experts de la discipline concernée puissent se pencher sur le dossier et examiner point par point les éléments litigieux. Eux seuls sont capables de distinguer un plagiat véritable, d’un simple oubli. Sachant que, bien souvent, l’habitude du plagiat ancré dans des habitudes de travail fait glisser imperceptiblement son auteur vers la fraude scientifique (données fictives, analyses améliorées…).

Enfin, le 3e expert doit être, soit un expert du plagiat et de la fraude scientifique, soit à défaut un spécialiste de l’éthique et de la déontologie académique.

• Notre conseil : Trois à quatre membres : un juriste (mais pas expert du droit de propriété), un spécialiste de la discipline (n’exerçant pas dans le même établissement, a fortiori pas dans le même département ou la même faculté), un expert du plagiat et de la fraude scientifique.

4 – Des faits, des faits, toujours des faits

Afin que la commission puisse effectuer un travail de qualité, il importe que le dossier des pièces soit bien monté. Il n’est pas rare que nous recevions des dossiers tronqués où l’émotion a pris le dessus mettant en exergue des échanges de mails (parfois violents) qui illustrent des relations dégradées. Tous ces « écrans de fumée » empêchent de voir les faits sur lesquels il s’agira de se prononcer.

Si en amont du travail de la commission, les services juridiques de l’établissement ont préparé un dossier objectif, aux pièces convenablement référencées, le travail sera facilité. Ces services juridiques doivent impérativement se souvenir que, en cas de recours, les avocats demanderont de retirer du dossier toutes les données dont la source n’est pas authentifiable.

Il est très commun, par ailleurs, que les parties demandent à être entendues, confondant le rôle de la commission avec celui d’un tribunal ou se croyant dans le cadre d’une enquête administrative. Or, ce n’est pas le rôle de la commission d’enquête d’écouter les circonstances particulières que l’un ou l’autre évoquera. Son rôle est d’établir les faits et de prononcer des recommandations au mandant. A notre connaissance, toutes les commissions qui ont accepté d’entendre les parties ont eu des problèmes de subjectivité et ont ensuite été suspectées d’avoir été partiales.

• Notre conseil : N’acceptez de travailler que sur des dossiers clairs et bien étayés et refusez d’entendre les acteurs.

5 – Qualifier le plagiat

(cf. La méthodologie mise en œuvre pour les expertises de plagiat présumé)

Ce n’est pas sa longueur qui détermine la gravité d’un plagiat, mais l’intentionnalité avérée de son auteur. Ce que le néophyte verra comme un petit plagiat, par exemple recopier une simple note de quelques lignes sans références bibliographiques précises, c’est s’approprier ce qui a exigé parfois des heures de travail et d’investigation. Notons que des délinquants du savoir ne procédant que par un mode opératoire de type 1 peuvent parfois sauver la face par l’excuse d’une part de « mauvais apprentissage des règles du métier » et, d’autre part, du résultat de « simples négligences ». Pas les autres.

• Notre conseil  : faites classer les plagiats révélés dans les catégories suivantes et valider par nos experts.

1) Reprises textuelles sans masquage élaboré (ex. copiage sans guillemets et sans citer la source, traduction sans citer la source …)
2) Procédé de masquage par des techniques simples ou relativement complexes, pouvant se combiner (ex. paraphrases, lignes sautées ou inversées, mots remplacés…)
3) Camouflage recourant à des techniques sophistiquées sur la forme (ex. modèle non sourcé suivi dans son développement…)
4) Appropriation de la pensée/expression d’un auteur de renom (ex. reprise du style argumentaire d’un auteur essentiel…)
5) Appropriation de données non littéraires.

6 – La durée d’une enquête et les modalités de travail

Une enquête de ce type dure entre 3 et 5 mois. Il n’est pas raisonnable d’espérer aller plus vite considérant les charges de travail des uns et des autres, l’éloignement géographique et le temps d’examen des pièces (avec ou sans logiciel de détection). Par contre, une enquête plus longue place les protagonistes dans une situation très inconfortable et chacun doit aussi être protégé au plan psychologique.

Les échanges de mails sont en principe sécurisés par les établissements des experts. Davantage, en tout cas, que les « gmail » et autres boites à lettres privées. Mais les fuites sont toujours à craindre.  En effet, il y a toujours des failles dans tout système, failles qui sont avant tout humaines, et nul n’est à l’abri. Et n’oublions pas que Google est une entreprise américaine. Les données de tout dossier déposé sur Google Drive, entreprise américaine, appartiennent – au plan légal – au Président des États-Unis.

• Notre conseil :  Essayez de vous fixer un délai raisonnable d’examen des pièces fournies, de peu vous rencontrer et d’échanger via le Web (en veillant à la sécurisation des données).

7 – Conclure une enquête

Lorsque l’enquête est achevée, le rapport est rédigé par le Président de la commission. il est ensuite acheminé vers le mandant.

Le rapport contient toujours, en conclusion, des recommandations formelles à la suite de l’établissement des faits. Il n’est pas rare que soit conseillée une extension de l’enquête, soit vers d’autres situations frauduleuses que l’examen des pièces aura révélées, soit vers des collaborateurs des personnes incriminées. En effet, les collaborateurs directs de chercheurs convaincus de plagiat ont souvent adopté des comportements également déviants par mimétisme et habitude.

Par contre, il est très rare que nous suggérions des sanctions à l’encotre des personnes mises en examen. Ce n’est pas le rôle de la commission d’enquête, mais celui des autorités de l’établissement qui l’ont mandatée. C’est à elles d’avoir la détermination de prendre les décisions qui s’imposent. C’est également à elles de veiller à ce que l’affaire ne soit pas ébruitée, afin de ne pas créer de situation de double peine pour le fautif : une sanction et une rumeur qui se propagerait.

• Notre conseil :  Fournir des conclusions les plus précises possible, conseiller clairement des voies d’extension possible de l’enquête, mais ne pas proposer de sanction. Le but reste toujours de pacifier les communautés.

8 – Bénéfices et risques de l’enquête

Le plus grand reproche qui soit fait aux établissements du supérieur est la totale opacité qui entoure les commissions d’enquête lorsqu’il s’agit de thèses de complaisance ou de plagiat de collaborateurs.

Or, contrairement à ce que croient souvent les dirigeants en matière de fraude académique, la « maladie honteuse » n’est pas qu’un certain pourcentage des collaborateurs soit des tricheurs. Il s’agit d’êtres humains et il n’y a pas de raison magique qui impliquerait un 0% de moralité douteuse dans cette population spécifique. Les « maladies honteuses » sont l’absence de transparence au niveau des procédures et des conclusions, ainsi que  la minimisation des problèmes d’intégrité.

Un autre problème provient du fait que le chercheur convaincu de plagiat est bien souvent appelé à démissionner de l’établissement. Dès lors, il peut se répandre en bruits de toutes sortes qui le feront se positionner en victime d’une chasse aux sorcières politique. Ce, même si les faits sont là patents, et parlent d’eux-mêmes.

• Notre conseil  :  Fournir une fois par an à tous les collaborateurs un tableau compilé du nombre de cas instruits, du nombre de sanctions prises et de leur nature ; ce, si possible, par faculté ou département.