Pour déterminer la gravité d’une faute académique, nous devons être en mesure d’évaluer les conséquences du comportement incriminé.
Cette évaluation a lieu une fois que les preuves de manquement à l’intégrité ont été établies. Il s’agit de contextualiser les faits établis pour en mesurer les conséquences puis évaluer le plus précisément possible la nature et les modalités de la réparation à apporter aux dommages causés par le comportement analysé.
Les sanctions éventuelles seront également proportionnelles à l’impact des actes répréhensibles.
(Ce texte est repris et adapté de l’article « Bergadaà M. (2013). Le dossier du trimestre : « Tu ne plagieras, point » sous la dir. de M. Bergadaà. Cultures & Sociétés, Téraèdre, N° 28, pp. 18-22″ et du chapitre « Bergadaà M. (2015). Appréhender la gravité du plagiat dans Bergadaà M. (2015). Le plagiat académique, comprendre pour agir (pp. 27-53). Coll. Questions contemporaines, L’Harmattan. ».
1 – Conséquence fondamentale – Fraude et plagiat nuisent à l’avancement de la connaissance
Le droit fondamental du scientifique académique est l’accès à l’origine des sources de la connaissance. Nous devons citer nos sources dans nos publications afin de permettre à tout nouveau chercheur de se pencher, à son tour, sur nos données de base (quelle qu’en soit la nature), de conduire sa propre analyse et de proposer de nouvelles interprétations. Est délinquant de la connaissance celui qui rompt ou mystifie le lien liant ceux qui l’ont précédé à ceux qui le suivent.
• Conséquence 2 – Le plagiat est un vol de la création originale
La souffrance des victimes doit être comprise de et accepté par tous. Plagier revient à faire disparaître l’auteur d’origine aux yeux de sa communauté. Se sentir ainsi symboliquement tué peut être dévastateur. Il ne s’agit pas seulement d’une appropriation de l’œuvre, mais de la paternité de l’œuvre. Il s’agit du vol d’une œuvre de l’esprit, donc unique : c’est une atteinte grave aux droits et intérêts moraux de l’auteur, inaliénables et consacrés en tant que droits fondamentaux (DUDH, art. 27 §2 ; PIDESC, art. 15 1. c.).
• Conséquence 3 – Plagiat et fraudes académiques vident le sens d’une œuvre
La raison même de la recherche est la quête/decouverte de vérité. La technique du patchwork ou du collage à partir d’un texte source ou de plusieurs textes sources peut rendre le plagiat difficile à déceler et donner l’illusion au lecteur qu’il a un sens savant. La technique des faux positifs relève du même comportement et le résultat aboutit à une illusion de véracité scientifique.
• Conséquence 4 – Plagiat et fraudes académiques incitent à la recherche bâclée
Ce qu’il y a de sacré dans la recherche est la liaison fusionnelle/organique qui existe entre le chercheur et son œuvre. Il advient parfois qu’un comportement paresseux d’un auteur qui se contente de plagier ou de frauder ici et là bouleverse nos conventions et nos règles académiques. Références diluées, auteurs fantômes et auteurs invités, données tronquées, etc., peuvent alors devenir des us et coutumes de son entourage professionnel.
• Conséquence 5 – Le plagiat et la fraude scientifique constituent une fraude du système académique
Dans un système sous tension, l’égalité de traitement doit être une préoccupation majeure. Le délinquant introduit une grande iniquité puisqu’il multiplie à bon compte le nombre de publications figurant sur son curriculum vitae. Il sera en mesure de bénéficier d’avantages professionnels au détriment de la personne honnête qui aura déclaré les écrits relevant de son seul mérite. L’autoplagiat, qui consiste à utiliser le même écrit en le modifiant à la marge ou en le traduisant simplement, sans prévenir, pour démultiplier sciemment le nombre de ses publications sur un curriculum vitae, est aussi une fraude.
• Conséquence 6 – Le comportement non-éthique peut inhiber des chercheurs compétents
Collaborateurs et co-auteurs sont éclaboussés par la révélation d’un scandale. Ce dernier donne naissance à des rumeurs qui blessent des personnes innocentes. Or, certaines avaient une confiance aveugle envers les auteurs des fautes, d’autres ne voulaient simplement ne rien voir. En jetant l’opprobre sur un groupe de chercheurs, le phénomène de plagiat et de fraude académiques donne envie à certains chercheurs intègres d’abandonner le métier.
• Conséquence 7 – Le comportement délictueux provoque un dysfonctionnement des revues et des maisons d’édition scientifiques
Ces revues scientifiques et ces éditeurs sont indispensables à l’ordre académique. Ils déterminent la distinction des chercheurs aptes (ou non) à être engagés par un type donné d’institution, ou encore à accéder à la direction de laboratoires. La délinquance académique induit de nombreuses turbulences (même économiques, financières) pour ces revues lorsqu’il s’agit de retirer un article. Elles peuvent être tentées de l’éviter, alors même que d’autres chercheurs utilisent en confiance des résultats faussés ou des écrits plagiés.
• Conséquence 8 – La lutte contre l’inconduite académique coûte cher
Le coût de prévention sera toujours moins élevé que celui de la répression des comportements délictueux. La découverte d’un cas et la mise en examen de son auteur entraînent des commissions d’enquête longues et coûteuses. Nul ne chiffre, et c’est un tort, les salaires et honoraires des avocats et enquêteurs associés, mais aussi le temps que les membres des commissions d’enquête auraient pu consacrer à la recherche et à l’écriture.
• Conséquence 9 – Plagiat et fraudes académiques portent atteinte à l’image de nos établissements
La délinquance académique génère de la suspicion dans la société civile à l’égard des scientifiques. En jetant l’opprobre sur ses mentors – responsables de laboratoires, directeurs de thèses, rédacteurs en chef de revues – qui n’ont pas su le recadrer, c’est l’image de leur institution qui est atteinte. La tentation de l’Omerta n’est en rien une solution, car tout finit toujours par se savoir dans notre métier. La responsabilité des établissements est de développer leur culture de l’éthique et de l’intégrité, composante à part entière de leur mission sociale.
- Conséquence 10 – Le comportement non ethique entretient l’ambiguïté systémique
Une institution qui choisit de lutter contre le plagiat doit mettre en place des enquêtes longues et coûteuses. Personne ne connaît le coût réel de ces enquêtes, qui comprend les honoraires des avocats et autres enquêteurs, le temps perdu par toutes les personnes impliquées, les coûts de réputation, etc. Mais l’omerta n’est pas de mise. Les responsables d’institutions sont tenus pour responsables lorsque des diplômes sont délivrés injustement, lorsque des chercheurs divulguent de fausses connaissances. Leur devoir est de s’assurer que l’institution s’engage à se mobiliser pour la connaissance et à mettre en place les mécanismes de mobilisation pour l’intégrité académique.