Une médiation rapide et efficace
Dans le cas ci-dessous, un chercheur américain – appelons-le John Schmidt – est plagié dans un article du journal Le Monde par un auteur français – appelons-le Jacques Dupont.
• John Schmidt est un professeur, directeur de laboratoire dans une université de haut rang aux États-Unis.
• Jacques Dupont se présente comme un professeur rattaché à un établissement de bon rang dans le paysage français.
• 20 mai 2015 : Un article publié par un professeur français est publié par le journal Le Monde. Il est signé de Jacques Dupont alors qu’il est entièrement (à part une phrase) fondé sur le travail de John, un chercheur américain. La seule référence à d’autres auteurs est : « des statistiques relevées dans les recherches américaines récentes ».
• 28 mai 2015 : John Schmidt écrit un courriel au chef de la rubrique concernée du Monde lui expliquant que l’article publié est fondé sur ses recherches et il lui fournit les références. Il demande que les lecteurs des versions papier et électroniques en soient informés. Il ne reçoit aucune réponse à ce message.
• 1er juin 2015 : La version en ligne de l’article est cependant amendée indiquant en référence les deux articles de John. Mais Jacques Dupont est toujours décrit comme étant la personne qui a “a collecté les statistiques permettant de capter » (sic) le phénomène décrit.
• 15 juin 2015 : John Schmidt écrit une description de chaque groupe de données sur lesquelles se fonde l’article de Jacques Dupont. Il démontre que, à part une phrase qui parle du contexte français, l’article est directement fondé sur ses travaux.
• 16 juin 2015 : John Schmidt reçoit un courriel du responsable du Monde Économique, qui indique : “Ces sources ont été rajoutées dans la version électronique de l’article de M. Jacques Dupont à la suite de votre première demande. Il est bien entendu impossible, par définition, de les rajouter dans la version print.’’
16 juin 2015 : John Schmidt est excédé par l’absence de réponse à sa demande légitime. Il adopte alors un ton purement fonctionnel. Nous recevons aussitôt cette demande :
« Dear Professor Bergadaa,
As the acknowledged specialist in the francophone world on plagarism, I hope you can give us some advice on an issue that has arisen in the past few weeks in relation to an article in the French newspaper, Le Monde. To explain our dilemma, I will try to explain the sequence of events as clearly as possible and I have attached all the relevant documents… »
• 18 juin 2015 : Nous commençons à analyser les attitudes des protagonistes :
Jacques Dupont est un professeur à la retraite qui n’a pas de visée carriériste. Le directeur d’établissement avait été « secoué » par une affaire il y a 5 ou 6 ans et souhaite, évidemment, ne pas être entraîné dans un autre cas problématique.
21 juin 2015 : John, à notre suggestion, écrit au directeur de l’établissement de Jacques Dupont, en copie nous-mêmes et le rédacteur du Monde.
« Monsieur le Directeur,
Puisque le journal le Monde ne souhaite pas répondre positivement à ma demande, je vous demande de m’appuyer dans une démarche de réparation de l’usurpation de mon travail et de mes analyses.
1. J’ai pris connaissance d’un article publié dans « Le Monde » du 20 mai 2015 dans lequel un professeur de votre établissement, Jacques Dupont, utilise sans modération et sans références les résultats de mes travaux de recherche. Après un message de réclamation à un éditeur de ce journal, trois références ont été ajoutées à la version en ligne de cet article.
2. Cependant, Jacques Dupont continue à être décrit par le journal en ligne comme étant la personne qui a collecté ces données, ce qui est de toute évidence faux. Pour vous permettre d’évaluer l’ampleur de l’utilisation de mes travaux, je vous mets en pièce jointe la lettre que j’ai adressée à « Le Monde » avec les détails de l’article de Jacques Dupont et les sources exactes des articles dont l’auteur s’est servi sans donner ses sources.
3. Dans le journal « Le Monde », je souhaite que mon nom apparaisse comme la personne qui a collecté ces données et que cela soit fait le plus rapidement possible. Je souhaite également voir publier des excuses ou avoir accès à un droit de réponse dans la version papier de « le Monde » pour avoir publié cet article dans la version papier sans avoir vérifié les sources des données utilisées. »
• 23 juin 2015 : le Rédacteur en chef de la rubrique du journal Le Monde répond à John Schmidt (copie nous-même et le directeur d’établissement de Jacques Dupont) :
« Conformément à votre demande (votre mail du 28 mai), nous avons ajouté les références que vous indiquez dans la version électronique du papier de Jacques Dupont. Il était bien entendu impossible de les ajouter après coup dans la version papier.
Je tiens à signaler que nous avions demandé le 20 mai à Jacques Dupont quelles étaient les sources utilisées pour son article.
Nous avons donc ajouté ces sources dans la version électronique. Dans un second temps, nous avons ajouté celles que vous nous avez indiquées. Le Monde ne peut se substituer aux auteurs qu’il publie dans le mode de rédaction de leurs articles, nous ne pouvons que demander des précisions, ce qui a été fait. Le reste ne concerne donc que Jacques Dupont.
Nous sommes en revanche tout à fait disposés à ouvrir nos colonnes à un article de votre part sur un sujet de votre choix. Les longueurs standard sont soit de 4000 signes, soit de 5500 signes, espaces compris. »
• 23 juin 2015 : Du directeur de l’établissement de Jacques Dupont à nous-mêmes :
» Je vous remercie pour vos mails et je vais faire diligence afin que ces erreurs ne se reproduisent pas, je préviens Jacques Dupont immédiatement. Je ne doute pas que l’auteur n’avait pas l’intention de nuire, il a manqué de précision, je pense. »
• 8 septembre 2015 : Un professeur de France nous écrit :
» Veuillez trouver ci-joint un article de John Schmidt paru dans Le Monde la semaine dernière.
Je n’ai pas de doute que les réactions rapides et positives sont le résultat direct de votre implication dans cette affaire. J’ai beaucoup apprécié la diplomatie et la justesse de votre communication par la suite. Pour sa part, je pense que Professeur John Schmidt est réconcilié avec le monde académique français.
La publication d’un tel article au nom de Professeur John Schmidt dans ce journal va contribuer à faire reconnaître son expertise à sa juste valeur auprès d’un public plus large en France.
En vous souhaitant bonne continuation avec vos efforts de soutenir les chercheurs qui se retrouvent dans ces mêmes difficultés, je reste à votre disposition si jamais je peux vous être utile à mon tour. » |