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L’urgence de l’intégrité. Chapitre 1 Restaurer la confiance académique

Chapitre 1

L’IRAFPA vous invite à lire ce livre au printemps 2021

Introduction du chapitre par Michel Kalika

Michel Kalika est professeur émérite à l’Université Jean Moulin, iaelyon School of Management. Il est le directeur de la méthodologie BSIS (Business School Impact System) qu’il a développée pour la FNEGE et l’EFMD. Il est également le président du Business Science Institute, une organisation académique internationale en réseau qui déploie un programme d’Executive Doctorate in Business Administration (DBA). Il a précédemment été directeur de l’EM Strasbourg Business School et en poste à l’université Paris Dauphine pendant plus d’une décennie.

La restauration de la confiance académique relève à nos yeux d’un défi de nature stratégique que les académiques et leurs institutions, dont ils constituent le fondement, se doivent de relever. Si tel n’est pas le cas, demain, les universitaires devront en assumer les conséquences. Cette conviction repose sur la double expérience de l’étude de l’impact des organisations académiques (BSIS) et sur la création d’une d’institution doctorale unique dans son fonctionnement et sa finalité (Business Science Institute).

La grille d’analyse des impacts d’une institution académique (Kalika & Shenton, 2020), développée par la FNEGE & l’EFMD, largement utilisée par les Grandes écoles d’ingénieur et de management et plus récemment par des universités, fait figure de fil conducteur pour comprendre la nécessité de restaurer cette confiance académique. Si cette ferme volonté n’est pas inscrite dans l’agenda stratégique des institutions, si la banalité de la fraude et l’absence d’intégrité ne sont pas fermement combattues, alors sept impacts négatifs pénaliseront durablement la reconnaissance et le rôle de ces institutions.

Le premier impact négatif se situe sur le plan intellectuel : sans confiance dans les travaux des chercheurs, la considération des résultats de recherche est considérablement réduite, voire annihilée et sans confiance au sein des institutions, la dynamique collective de la recherche est affectée. Le deuxième impact négatif est éducatif : sans confiance académique, la qualité des enseignements, censés se nourrir de la recherche, est remise en cause. De facto la crédibilité et le rôle des diplômes dans la société seraient à terme mis à mal. Le troisième impact négatif se situe au plan du développement du tissu économique qui repose sur la recherche pour la partie innovation et sur l’éducation pour la partie managériale. Le quatrième impact négatif se fait sentir au niveau des écosystèmes dans lesquels les institutions académiques jouent un rôle moteur en termes de recherche, d’innovation et de formation. Dans ces écosystèmes, des contrats de partenariat établissent la synergie avec des chercheurs fiables.

Le cinquième impact négatif concerne la dimension développement durable de nos sociétés : si la confiance académique n’est plus au rendez-vous, les travaux de recherche portant sur le développement durable de nos économies et sociétés perdront tout simplement en crédibilité et en efficacité. Le sixième impact négatif est naturellement financier : les organismes publics et privés de financement se détournent durablement d’institutions académiques minées par le plagiat et l’absence d’intégrité académique. Enfin, le septième impact affecte l’image, la réputation et la notoriété des institutions académiques dont les sociétés ont besoin, car elles transmettent des valeurs fondamentales. C’est alors toute une profession qui est durablement atteinte dans sa légitimité publique.

Nous avons donc inscrit cette confiance académique dans le fondement de l’organisation académique internationale dédiée à l’organisation d’un Doctorate in Business Administration pour managers que nous avons créée (Bergadaà & Benghozi, 2019). Sur quoi repose une institution « sans murs » réunissant plus d’une centaine de professeurs internationaux d’horizons, d’origines, de cultures et de domaines différents et deux cents doctorants-managers issus d’une quarantaine de pays et travaillant dans trois langues, si ce n’est sur la confiance académique en un projet collectif ? La création d’une large communauté d’universitaires internationaux qui s’investissent dans un projet unique, disruptif, ne se comprend que si l’on considère le rôle fondamentalement intégrateur joué par la confiance académique comme ciment de ce réseau. Cette institution créée ex nihilo, qui ne bénéficiait, à l’origine, d’aucune reconnaissance, d’aucune accréditation est parvenue à fédérer d’éminents professeurs et à nouer des partenariats académiques internationaux sur la base de la confiance académique. C’est toujours la confiance qui a réussi l’improbable défi de réunir autour d’un même destin les membres enseignants-chercheurs d’une organisation par nature éclatée et dispersée géographiquement. C’est encore la confiance à l’égard des professeurs réputés qui a conduit les doctorants à croire en ce projet hors norme, à s’inscrire, à soutenir leur thèse de DBA et à publier des ouvrages reprenant les résultats de leurs thèses.

La lecture des cinq articles qui constituent ce chapitre nous conduit à considérer que l’intégrité académique suppose, comme toute activité managériale, des valeurs, des processus, du contrôle et des mesures d’impact. La mesure de l’impact de ce que les organisations académiques entreprennent en matière d’intégrité académique suppose que soient clairement identifiés les ressources qu’elles y consacrent, leurs actions ou activités, les résultats immédiats, les réalisations induites par ces actions et les changements durables, c’est-à-dire les impacts qui se traduisent par des changements de comportement. Gageons que la lecture qui suit incitera nombre d’entre nous à s’engager aux côtés des auteurs dans ce mouvement des sciences de l’intégrité, en vue de restaurer la confiance académique dans la pluralité de ses dimensions.

L’article de Michelle Bergadaà et Paulo Peixoto repose sur les enquêtes menées par l’IRAFPA en 2020 dont les résultats ont induit la question au contenu aussi inquiétant que facétieux : « Référents de la déontologie académique : ont-ils confiance en eux ? ». Les deux auteurs posent la question du rôle et de la difficulté des référents de la déontologie académique dans leurs institutions et proposent pour les comprendre de passer de la confiance, concept qualifié d’insaisissable, à celui plus opérationnel de la proximité. Cette proximité des acteurs académiques doit s’entendre tant sur le plan interpersonnel de l’identité et des réseaux, que sur le plan institutionnel des processus et de la technologie. Dans ce chapitre, les auteurs appellent de leurs vœux une cinquième proximité fonctionnelle et soulignent ainsi le rôle joué par l’IRAFPA dans le développement nécessaire de la proximité interpersonnelle entre les référents académiques.

Dans leur article « L’intégrité académique dans l’enseignement supérieur espagnol : trois mondes parallèles », Cinta Gallent Torres et Isabel Tello Fons nous livrent une description sans concession de la situation en Espagne en matière d’intégrité académique : des étudiants et des jeunes chercheurs soumis à la pression des publications, non préparés à l’écriture académique, qui se révèlent être des utilisateurs réguliers du plagiat, encouragés par une série d’offres de sites spécialisés, par une absence de sanctions et par la myopie d’institutions universitaires qui mesurent mal l’ampleur du problème. Le tableau dressé pourrait être inquiétant s’il ne s’agissait pas de s’interroger sur la possibilité de réconcilier les mondes qui semblent étrangers les uns aux autres : les étudiants, les chercheurs, les universités. Les auteurs notent toutefois que des efforts sont réalisés en termes de sensibilisation.

Sarah Carvallo, philosophe des sciences, nous invite dans son article « Pour une diplomatie de l’intégrité scientifique en situation d’interculturalité » à réfléchir à l’absence d’un consensus international et transdisciplinaire en matière d’intégrité scientifique en raison des dimensions culturelles. Selon l’auteure, la définition des mauvaises conduites serait variable en fonction des cultures et l’intégrité scientifique ne saurait, de fait, prétendre à la même universalité que les mathématiques. L’auteure suggère trois voies qui permettraient de concilier ces différences tant culturelles que professionnelles avec l’intégrité scientifique : des normes, référents, et systèmes de sanction ; la création d’une métaculture déontologique et surtout « une diplomatie de l’intégrité scientifique en situation d’interculturalité », qu’elle juge plus prometteuse.

Dans son article « Quels modèles d’intégrité pour les écoles doctorales ? », Pierre-Jean Benghozi traite la question de l’intégrité académique en se focalisant sur ce moment initiatique de la formation des chercheurs de demain. En occupant cette place unique dans l’enseignement supérieur, les Écoles doctorales ont devoir d’exemplarité. L’auteur propose la certification « intégrité » de l’IRAFPA adaptée aux écoles doctorales. Par exemple, la certification intégrité d’une École doctorale suppose le développement d’une charte d’intégrité, l’implication des équipes dirigeantes, l’identification d’un responsable intégrité, une politique de communication, un suivi des pratiques, la formation des encadrants et des étudiants, ainsi qu’un processus de traitement des infractions accompagné de sanctions. Ce rigoureux exercice de présentation des dispositifs institutionnels de lutte contre les manquements les plus fréquents à l’intégrité (fraudes dans la production des connaissances, dans les publications et dans la supervision des thèses) est rassurant.

Christoph Stückelberger, dans son article « Responsabiliser par l’intégrité : vers une éducation équilibrée », parait lui répondre en nous proposant un voyage dans cette quête des valeurs et de la vertu. Fort d’une longue expérience internationale de formateur à l’éthique, il souligne que le manque d’intégrité, la corruption et la fraude sont répandus dans l’enseignement supérieur, et il mentionne le caractère contraignant des valeurs collectives et le rôle des vertus, repère de comportement individuel. Pour l’auteur, l’intégrité – et l’intégrité académique en est une illustration – consiste à se conformer à ses propres valeurs et convictions. L’intégrité académique est d’autant plus importante que l’éducation constitue « le pilier des valeurs dans la société et le fondement de l’avenir d’une société ». L’auteur conclut son chapitre en présentant l’intégrité comme l’alignement de quatre facteurs : la responsabilité, la compétence, l’éthique et le contrôle de la corruption.

Références bibliographiques

Bergadaà, M., & Benghozi, P.-J. (2019). Contribuer de manière significative à l’avancement des connaissances dans un champ d’exercice professionnel, in J. Desmazes, J.-P. Helfer, J.-F. Lebraty, & J. Orsoni (Éds.), Entrepreneur à l’université : Mélanges en l’honneur de Michel Kalika, Éditions EMS, (p. 293‑304).

Kalika, M., & Shenton, G. (2020). Measuring business impact: The lessons from the business schools, Corporate Governance: The International Journal of Business in Society, ahead-of-print (ahead-of-print). https://doi.org/10.1108/CG-01-2020-0042