Chapitre 2
L’IRAFPA vous invite à lire ce livre au printemps 2021
Introduction du chapitre par Pr Pierre J. Hoffmeyer
Pierre Hoffmeyer, obtient son diplôme fédéral de médecin en 1976 à Genève et se forme en chirurgie au Vancouver General Hospital, Canada. Médecin-chef du service de chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil moteur des HUG et prend la tête du département hospitalier de chirurgie en 2007. Sur le plan académique, il est nommé privat-docent en 1993, et professeur ordinaire en 1998. Par ailleurs, il a été le président de l’Association suisse d’orthopédie et celui de la Fédération européenne des sociétés nationales d’orthopédie (EFORT). Il est également membre du comité éditorial de plusieurs journaux importants, et il est rédacteur en chef de la revue EFORT Open Reviews.
« Publish or perish » reste le leitmotiv du scientifique et de l’académique et cette préoccupation n’est pas nouvelle. En effet, l’aphorisme a été formulé en 1928 déjà, par Case [1] ou en 1932 par Coolidge [2] selon les sources. Cela démontre la perpétuation d’une problématique qui, finalement, a toujours été au cœur des carrières de l’enseignement et de la recherche. Ce qui est nouveau c’est l’avènement, depuis le début du vingt et unième siècle, des moyens de communication quasi instantanés et de la disponibilité pratiquement en tout temps et en tout lieu de l’ensemble de la connaissance publiée ou mise en ligne. Ce nouveau fonctionnement change la structure des rapports qu’entretiennent les auteurs et leurs éditeurs que ce soit en en mode traditionnel ou en digital. Sur le plan pratique, tout a évolué. Avant l’ère digitale, apporter des corrections à un texte, ajouter ou retrancher des références, refaire un graphique ou une illustration prenait beaucoup de temps. La correspondance entre un auteur et son éditeur était laborieuse et se faisait par le truchement de la machine à écrire et par services postaux interposés. Actuellement, tous ces changements peuvent se faire dans l’heure et le papier corrigé et scanné peut être renvoyé dans la journée.
Toutefois, malgré les progrès technologiques, la problématique de l’humain reste entière. La reconnaissance d’un chercheur continue à se définir par sa production publiée, plutôt sur le plan quantitatif que qualitatif par ailleurs. En effet, la scientométrie, facilitée par la puissance de calcul des moyens informatiques, règne en maître pour déterminer l’activité, voire la carrière, du scientifique. Pour brouiller encore plus le paysage, les revues prédatrices et leurs promesses mensongères abondent et tentent de séduire les novices. Le plagiat et l’autoplagiat taraudent le monde de la publication. Cette obligation impérieuse de production publiée crée, de facto, un rapport pressant, sain ou malsain, mais néanmoins étroit, entre les acteurs et les intervenants constituant la communauté de l’édition scientifique et académique. Les motivations et les intérêts ne se rejoignent pas forcément, pouvant même être diamétralement opposés : notoriété pour l’auteur et recettes pour l’éditeur. Pour un auteur, la gestion de la propriété intellectuelle peut constituer un obstacle, certains éditeurs s’en octroyant la possession. La technique de relecture anonyme ou ouverte peut séduire ou repousser certains scientifiques. L’ordre des signataires d’un article peut générer des situations conflictuelles au sein des équipes. L’Open Access et sa diffusion immédiate peut coûter cher (Article Processing Charge ou APC) et n’est pas accessible à toutes les bourses. La publication papier pose le problème des délais entre création et communication au lecteur.
Certes, la production scientifique progresse exponentiellement depuis les années 1960 et a pris un grand coup d’accélérateur avec l’arrivée du digital. Par contre le nombre des grands journaux, ceux qui comptent pour une carrière académique, n’a pas augmenté au même rythme [3]. Les opportunités pour y domicilier un article sont rares et, sans l’appui d’auteurs déjà introduits, la tâche peut s’avérer impossible. S’agissant de ces grands journaux, la pression conduit parfois aussi à des désastres éditoriaux où les auteurs d’un même article se répartissent les tâches tout en ignorant ce que font les uns et les autres. Pour ne citer qu’un exemple, prenons l’étude sur l’hydroxychloroquine dans la COVID, publiée dans le Lancet puis rétractée quelques jours plus tard. Il s’agit de publier encore plus vite qu’habituellement, alors les statisticiens de l’équipe méconnaissaient les insuffisances, ainsi que la provenance, de la base de données fournie par leurs collègues [4].
C’est cet univers de la publication académique, auquel aucun enseignement formel ne prépare, que doit explorer et maîtriser le chercheur. Grâce au présent ouvrage, et plus particulièrement dans le chapitre qui suit, il trouvera les clés pour solutionner les complications liées à l’édition académique et scientifique ainsi que des idées innovantes pour l’accompagner dans ce dédale.
Jacques PY, Chief Editor of European Review of Applied Psychology, est bien placé pour poser d’abord le concept de déontologie, ou le respect des bonnes pratiques. L’auteur insiste aussi sur les différences entre morale et éthique. L’une s’imposant à la conscience de l’individu et l’autre lui indiquant la marche à suivre selon les normes sociales en vigueur. Suit la dissection rigoureuse du système de la publication scientifique, qu’il juge au bord de l’implosion. Les raisons de cette catastrophe imminente vont de la dictature du résultat à la dilution des responsabilités des scientifiques en passant par le manque de relecteurs. L’auteur développe aussi l’effet multiplicatif et pervers de l’autoplagiat, conséquence inattendue des publications à auteurs multiples. La bibliométrie comme critère d’évaluation des candidats à des postes académiques est remise en question et doit être remplacée par une approche qualitative de l’activité et par un encadrement de qualité. L’auteur remet en question la valeur des nombreux codes de conduite et d’intégrité qui ne deviennent effectifs que lorsqu’ils obtiennent l’adhésion de la communauté scientifique et académique auxquels ils sont destinés. Avec l’auteur, nous avons envie de dire : “Parlons de sciences !”
Hervé MAISONNEUVE, initiateur et directeur de plusieurs blogs dédiés à l’intégrité en médecine, dont Rédaction Médicale, nous parle de situation de crise. Celle, bien sûr de la Covid, mais celle de facto que vit l’édition scientifique. Son article nous en brosse un tableau incomparable en analysant les effets de la pandémie et du confinement sur les publications. Les soumissions ont doublé voire triplé dans une période très brève alors même que les relecteurs manquent à l’appel. L’auteur conclut que les pratiques observées montrent que ni les principes de la science ouverte, ni les déclarations de Singapour sur l’intégrité ont d’impact sur le comportement individuel des chercheurs. Et pourtant, malgré ses défauts l’évaluation par les pairs reste la seule alternative. L’auteur insiste sur les principes FAIR (Findability, Accessibility, Interoperability, Reuse of digital assets) garant des bonnes pratiques en matière de publication.
Dominique LEGLU porte le regard de la journaliste scientifique sur le monde académique. Parce que les journaux qu’elle dirige – La Recherche et Sciences et Avenir – sont le trait d’union entre les chercheurs que l’on dit « fondamentaux » et un public d’initiés, elle ancre sa posture intransigeante face à la délinquance et à la négligence en matière d’intégrité. En retraçant l’historique de la prise de conscience de la fraude et du plagiat scientifique, l’auteure insiste sur l’indispensable lien de confiance entre journalistes et scientifiques. Témoin privilégié, elle nous compte le foisonnement des affaires dans le monde de la publication que l’internet est en passe de rendre ingérable. Les difficultés que rencontrent les institutions à reconnaître le plagiat, l’autoplagiat et la fraude et à y apporter des réponses sont soulignées. Appelant à l’éthique même de journaliste, elle conclut en invoquant l’impérieuse nécessité du respect des lecteurs.
Chérifa BOUKACEM-ZEGHMOURI en spécialiste des sciences de l’information et de la communication, nous entretient des nouvelles formes de production, de circulation, et de légitimation de la recherche scientifique. Elle questionne l’irruption des médias sociaux dans l’univers de la publication scientifique bousculant l’éthique des processus et la validité de la science produite. Ces médias sociaux académiques font désormais partie intégrante de l’univers de la publication scientifique. La mise en place d’un observatoire des pratiques est encouragée. Les créations de plateformes collaboratives et des médias sociaux académiques changent la donne. Ayant saisi la nature des besoins des communautés de chercheurs, ils ont su y répondre avec des plateformes numériques dotées de fonctionnalités de partage et d’interactions qu’ils ont présentées comme une contribution au mouvement de l’Open Access. L’auteure évoque l’interrogation sur le devenir des contenus au vu de la longévité limitée de ces plateformes.
Jean-Philippe DENIS a la double casquette de rédacteur en chef d’une revue traditionnelle et de responsable d’une chaîne web-TV qui donne la parole à des chercheurs. En concluant ce chapitre sur l’édition, l’auteur tient des propos qui engagent à la réflexion, mais aussi à l’action. Dressant un parallèle avec le capitalisme économique, il nous dit qu’à ce jeu-là la fraude devient inévitable. Les revues traditionnelles sont-elles appelées à disparaître ? Certes, au jeu du toujours plus il y a de plus en plus de producteurs d’articles et de moins en moins de relecteurs. Pour résoudre le problème de la pénurie de relecteurs, il propose des remèdes radicaux : la fin de l’anonymat, la rémunération et la responsabilisation. Il s’agit aussi de contrer la vague des revues prédatrices qui promettent des publications si rapides aux auteurs naïfs… Il pointe aussi les dangers de l’Open Science qui fonctionnent également selon le modèle économique du plus puissant, tel “preprint” tombant finalement dans la bourse d’Elsevier. Pour l’auteur, les congrès sont devenus des mercatos qui doivent disparaître et être remplacés par un débat constructif et apaisé entre scientifiques. Il nous parle, enfin, avec passion d’un tout autre modèle de publication media car il anime des interviews et a réalisé plus de 800 émissions à ce jour. Et si l’avenir de la communication scientifique était en train de se profiler ?
- Case C.M. (1928), Scholarship in Sociology, Sociology and Social, vol. 12, p. 323-340.
- Coolidge H. J. , editor. (1932), United States: Books for Libraries, Archibald Cary Coolidge: Life and Letters; p. 308.
- Fire M, Guestrin C. (2019), Over-optimization of academic publishing metrics: observing Goodhart’s Law in action. GigaScience 8.. doi:10.1093/gigascience/giz053
- Mehra M. R. , Desai S. S. , Ruschitzka F., Patel A. N. (2020), Hydroxychloroquine or chloroquine with or without a macrolide for treatment of COVID-19: a multinational registry analysis. Lancet, published online May 22. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)31180-6.)